Comme nous sommes en plein dans la Bretagne , je me permet de vous mettre un extrait d'un livre de Jean Teulé :
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Cui-Cui
, C’est une maison pas bleue pas adossée à la colline... mais elle me console du monde. C’est, en Bretagne, une grosse bâtisse austère et grise datant du XVIe siècle avec des murs d’un mètre d’épaisseur constitués de pierres sèches. Entre les pierres, il n’y a pas de liant, ni terre ni ciment, alors tous les petits oiseaux de la région viennent s’immiscer parmi les schistes et les granits pour nidifier à l’intérieur de ses murs au printemps. Et là, dans deux jours, ça va être le printemps ! Ouf, enfin le printemps !... L’hiver m’a semblé rude. Par exemple du 7 janvier, j’ai encore des difficultés à m’en remettre mais la maison bretonne, construite au temps des guerres de Religion et de la Saint-Barthélemy, fera bientôt cui-cui. C’est une maison qui chante. Au printemps, elle devient miraculeuse. J’en fais souvent le tour. Mésanges charbonnières, bleues, huppées, nonnettes... hirondelles, alouettes, rouges-gorges, tous ensemble se partagent joyeusement les murs de la demeure historique. Ça tire-lire là-dedans, turlute, carcaille. Ça siffle, pépie, zinzinule, dans toutes les langues d’oiseaux migrateurs ou endémiques. Et ça se baise aussi à l’intérieur des murs, se vole dans les plumes plus et bien mieux que chez Dodo la Saumure. Quel bordel ! Et ça va ensuite éclore de partout. D’un footballeur aux allures de grande poule disant de la France que c’est un pays de merde, les oiseaux de la bâtisse s’en foutent lorsqu’ils reviennent entre les pierres avec, au bec, un poil de chevreuil récupéré dans l’écorce d’un arbre contre lequel un cervidé s’est frotté. Des propos d’un ancien ministre sur le gouvernement actuel, ils n’ont rien à branler. Il n’y a pas de quoi en pondre un œuf de caille semble dire la maison. Groupe État islamique, Ukraine, musée du Bardo à Tunis, la pauvreté, etc. et puis cette maison qui fait cui-cui au printemps... Sur la même terre, tant de laideur et de beauté à la fois. Ça m’en fout les larmes aux yeux lorsque je tourne autour d’elle et puis ça m’apaise. Combien de printemps encore l’entendrai-je chanter ? Elle, bâtie sous Henri IV – assassiné pour cause de religion –, continuera sans doute pendant des siècles mais moi, combien de fois me reste-t-il à écouter son récital du printemps ? Cette maison qui va, dans quelques jours, lancer ses milliers de cui-cui me fera croire que la vie est là, dans ses murs, et que le monde est beau. Nom de Dieu de nom de Dieu, quelle maison ! Autant vous dire qu’elle n’est pas à vendre .
Jean - Luc .